L’obscurité de la nuit n’est pas celle que l’on croit
Une bonne partie de la magistrature d’Émeraude se retrouva dans la hutte des Kuni du village, qu’ils n’avaient pas eu le loisir de visiter jusqu’à ce jour. L’accueil fut celui du mélange d’un spectacle atroce, sous la forme d’un corps mutilé allongé et transpercé par une lance en jade massif, et d’un humour grinçant, propre au Clan du Crabe. Les Kuni du lieu informèrent les magistrats d’Émeraude, ainsi que le général Hida Misogi qui les rejoignit rapidement, qu’il n’y avait là aucune trace de Souillure. Après ces révélations, Yasuki Haruto et Asako Kohei « empruntèrent » un des shugenja Crabe pour aller interroger dame Kohi, qu’ils suspectaient toujours de biens atroces desseins. Il n’en fallut pas beaucoup pour persuader celui-ci de les accompagner.
Ce furent donc ces parangons d’Honneur que sont Kakita Akizuki et Kitsu Nahoko qui durent rester pour l’autopsie du corps de Dasan, menée par « Habile », que l’inquisiteur avait laissé à leur disposition. L’une (la prêtresse) quitta rapidement les lieux, tandis que le deuxième (le duelliste) parvint péniblement à retenir son mal-être. « Habile » informa les alliés de son maître qu’il ne décelait la trace d’aucun poison dans le corps du bushi Crabe, ce qui éliminait la dernière option envisagée par le général.
Pendant ce temps, Togashi-san et Hida-san s’étaient mis en quête de Kurusu, qui avait, semblait-il, disparu depuis ce matin. Ils visitèrent les abords de la rivière à la recherche du jeune homme mais également du fameux rossignol, sans retrouver ni l’un ni l’autre. Ils poursuivirent leurs recherches, croisant en chemin des samouraïs Crabe s’entraînant et accusant certains de leurs confrères de clan des plus grands maux, avant de finir par se rendre à l’évidence : Kurusu n’était nulle part.
Yasuki Haruto, Asako Kohei et Kuni Inoba, après avoir fait quérir la dame des lieux par ses serviteurs, interrogèrent celle-ci — ou plutôt : ils laissèrent le Kuni s’en charger. Plus le temps passa, et plus les deux magistrats d’Émeraude se sentirent gênés, tellement l’affront fait à dame Kohi, qui paraissait de plus en plus innocente, était important. Après avoir mené le dernier test plaçant dame Kohi dans une posture peu avantageuse, les trois enquêteurs quittèrent les lieux, chacun de la façon que lui dictait son Honneur et ses coutumes.
Les magistrats d’Émeraude et leur yoriki se rassemblèrent alors dans la demeure de feu Dasan et partagèrent ce qu’ils avaient appris dans la journée. Malheureusement, la journée avait été uniquement fructueuse en réponses négatives : Kurusu n’avait pas été retrouvé, on ne savait pas ce qui avait rendu fou Dasan, et on n’avait rien pu prouver contre dame Kohi. Le groupe décida donc de se rendre à la demeure de Hida Misogi, celui-ci les ayant invités à dîner plus tôt dans la journée, à l’exception d’Hida-san, qui décida de rester sur place pour attendre le retour de Kurusu.
Les magistrats et le général partagèrent les dernières informations du jour, et le chef du village indiqua à ses invités qu’il considérait que tout ce qui pouvait être fait avait été fait, et qu’il ne pouvait plus demander aux éminences d’Émeraude de rester dans le village. Celles-ci s’accordèrent pour dire qu’il valait mieux partir le lendemain, pour être dans les temps afin de remplir la mission qui avait été confiée par Togashi Yokuni-sama. Pour faciliter cette tâche, Kakita-san demanda d’ailleurs une lettre de recommandation à leur hôte, pour les aider à rencontrer Hida Kisada.
Quelqu’un vint frapper à la porte, et l’on partit ouvrir. Un message pour les magistrats était arrivé, signé de la main de Kurusu, à première vue. Celui-ci invitait d’une façon peu conventionnelle les magistrats à se rendre chez dame Kohi. Les magistrats s’empressèrent de prendre congé de leur hôte pour suivre cette nouvelle piste, celui-ci refermant derrière eux sa porte à double tour. La peur semblait régner en ces lieux.
Lorsqu’ils arrivèrent sur place, aucun bruit ni aucune lumière n’émanait de la maison. Une petite porte était entrouverte, mais de là où ils étaient, le noir de l’obscurité était tout ce qu’ils purent percevoir. Ils appelèrent Hida-san et les autres habitants de la maisonnée, mais personne ne répondit. Ils pénétrèrent les lieux à l’exception de Kitsu-san, et croisèrent Hida-san, qui fut étonné de les entendre se plaindre de ne pas avoir répondu à leurs appels, n’ayant pour sa part rien entendu. Laissant de côté ce point troublant, le groupe s’enfonça plus avant dans la maison, jusqu’à ce que, soudain, un souffle vint éteindre toutes les lanternes, ce qui fit sombrer la maisonnée dans une obscurité plus profonde qu’elle n’aurait dû être.
Malgré la pénombre, Yasuki-san et Togashi-san purent entrevoir la figure de dame Kohi, et tous purent l’entendre. S’exprimant de façon troublante directement à chacun d’entre eux, celle-ci les emporta lentement dans un univers fait uniquement d’un vide obscur régnant à perte de vue. Ils n’étaient pas seuls non plus : en plus de la figure de dame Kohi, dont le visage muta en un vide sans fond faisant froid dans le dos, une autre dame Kohi et ses deux bonnes étaient affalées sur trois futons au sol près d’eux, tremblant comme prises d’une crise d’épilepsie.
Lorsqu’ils reconnurent dame Kohi, la figure changea de voix : il s’agissait à présent de celle de Kurusu, et ce dernier les informa qu’après les avoir observés pendant longtemps, lui et ses semblables désiraient les inviter à le rejoindre dans l’ensemble duquel il faisait partie, sans expliciter quoi que ce soit sur ce dernier. Tous s’opposèrent à cette invitation, et le monstre sans visage ricana, ce qui fut trop pour Hida-san, qui tenta de le trancher en deux, ne réussissant malheureusement qu’à briser une lanterne qu’il n’avait pas pu voir.
Les flammes commencèrent à gagner du terrain, celles-ci apportant de la lumière dans les ténèbres : l’univers dans lequel ils s’étaient retrouvés s’estompait peu à peu. La figure avait disparu, et Hida-san tira dame Kohi hors de la demeure, tandis que Togashi-san tenta de faire de même avec une des bonnes. La deuxième servante ne put être sauvée. Le village tout entier ainsi que Nahoko-san accourut vers ce désastre. Tout le monde put constater que dame Kohi et la bonne, qui avaient été sauvées des flammes, étaient malheureusement mortes, des traces étranges visibles sur leurs corps. On mentionna Kurusu, et tous les habitants du village conclurent que ce dernier était probablement un suppôt de l’Outremonde : il avait été derrière tous les maux récents du village et avait certainement péri dans l’incendie.
Théorie que ne partageaient pas un certain nombre des serviteurs de Doji Satsume, mais qu’ils semblaient être les seuls à contester. Le moine Akito regarda les flammes emporter la demeure qui fut la leur ces derniers jours et fut pris de la certitude que l’Ombre avait essayé de les corrompre, de les amener à elle. Il se demanda ce que l’univers où ils s’étaient retrouvés, ce que les femmes en proie à des tremblements sur des futons au sol, étaient sensés représenter, signifier. Il grava tous ces éléments à plusieurs endroits de son esprit, ainsi que le ton de la voix de Kurusu. Si un jour il venait à l’entendre à nouveau, il ne serait pas surpris.
Après avoir (mal) dormi dans l’auberge du village, ils en saluèrent les habitants et se dépêchèrent de le quitter pour s’enfoncer plus profondément dans les terres du Clan du Crabe. Ils parcoururent un bon bout de chemin la première journée, côtoyant de près la Muraille bordant l’océan, et finirent ce jour de voyage dans un village sans nom. Là-bas ils rencontrèrent deux guides à qui les magistrats décidèrent de faire appel pour la suite du voyage, apprenant que la route principale avait été bloquée par des éboulements.
Le lendemain, après une bonne nuit de sommeil, le groupe de magistrats d’Émeraude entreprit la suite de son périple, épaulé par les guides des montagnes. Après avoir marché longuement, des nuages noirs apparurent à l’horizon, et le groupe décida de chercher rapidement un refuge. Heureusement, un monastère appartenant à l’Ordre de la Compassion, se situait non loin.
Tout ragaillardi, le groupe se dirigea donc vers le monastère, et Akito frappa pour demander à ce qu’on les accueille à l’intérieur. Ne recevant aucune réponse, il ouvra la porte et appela. Comme personne ne répondit, et qu’il faisait relativement sombre, le groupe pénétra dans les lieux, et commença à allumer les torches et lanternes du monastère, étonnamment éteintes. Ils se trouvèrent dans ce qui semblait être le hall d’entrée.
Kaminari se prit le pied dans « quelque chose » situé dans une partie de la salle encore enveloppée dans l’obscurité — et quelle ne fut pas sa stupeur de découvrir le cadavre d’un homme au crâne rasé ! Il fit appeler « Habile » pour que celui-ci autopsie le corps et l’on fit sortir les paysans du monastère, en leur demandant de fermer la porte d’entrée derrière eux. « Habile » fut rapide dans son art et rapporta que les entrailles de ce qui semblait être un moine avaient été déchiquetées, et qu’une texture étrange sous forme de toile enveloppait une partie du corps…
Les magistrats s’empressèrent de poursuivre plus avant leurs investigations, et s’engouffrèrent dans celle des trois portes de la salle qui était restée entrouverte. Du sang séché ornait le sol, l’on fit donc quémander de nouveau « Habile », mais celui-ci s’était, semblait-il, volatilisé… Les magistrats commencèrent à manifester à voix haute leur étonnement quant à cette soudaine disparition, avant que Yasuki Haruto ne demande soudain le silence en levant la main : il avait entendu quelque chose, des bruits de succion… de l’autre côté du mur…